Le destin déboule un beau jour en 4cv Renault et stoppe en dérapage contrôlé dans la cour du chantier. En sort un petit moustachu volubile, représentant d'une soirie lyonnaise produisant de nouveaux matériaux : du verre textile et de la résine. Les soyeux lyonnais, dont les produits ne sont plus compétitifs, ont commencé de se reconvertir vers des fibres nouvelles pour lesquelles ils cherchent des débouchés en les associant à de nouvelles résines en provenance d'Oyonnax. En un après-midi, sur les indications du visiteur, les frères Edel fabriquent une plaque de startifié, la soumettent à des coup de marteaux et de ciseau à bois, étonnés de la résistance du matériau. Prestement, une forme de coque de 50 cm de long est façonnée, saturée d'encaustique et moulée. Le stratifié sec, on peut sauter à pieds joints dessus sans que rien ne bouge.
Je sentais depuis un certain temps qu'on était au bout de la construction bois, témoigne Maurice Edel. Ces nouvelles matières étaient-elles la solution ? Les Américains étant en avance sur nous, je suis allé à l'ambassade américaine feuilleter des revues. Là, j'ai découvert un reportage détaillant le moulage d'une péniche de débarquement en polyester dans une forme femelle... Ca ma ouvert des horizons et on a commencé à faire des canots et des prames sans autre connaissance que nos petits essais et une matinée passée à l'ambassade !".
Début difficiles pour fabriquer un malheureux youyou de 2,50m. Les démoulants collent, les rovings sont difficiles à débuller, les mats raides comme du carton ; les résines demandent des mélanges interminables avec accélérateurs, puis catalyseur, et coulent sur les surfaces verticales, obligeant une fois les tissus enduits, à remonter inlassablement cette mélasse des fonds du bateau vers les hauts, jusqu'à polymérisation. Au contact de l'air, la matière reste poisseuse en surface jusqu'à ce que Maurice Edel ait l'idée de recouvrir les parties exposées de feuilles de cellophane pour isoler la résine de l'atmosphère extérieure.
"Travailler le bois et se retrouver dans cette merde qui pue !" s’exclame Maurice Edel. On en avait partout ! Et nous étions complètement inconscients : on fumait à côté des bidons de résine ! Quand on allait au bistrot après une séance de moulage, les clients s'inquiétaient : "Eh, patron, ça sent le gaz ici !" Nous, on ne sentait rien tellement nos vêtements étaient imprégnés." En un temps où le mouillage forain est la règle, les youyous "plastique" ouvrent un nouveau marché, mais le chantier continue à construire en bois, le polyester n'apportant pas suffisamment de quoi vivre. Construisant Vaurien et Moth, les deux frères commencent à embaucher et se diversifient, produisant même plusieurs milliers de paires de skis en bois pour les magasins La Hutte.